Depuis que je couds, mon cœur balance entre deux pôles presque contradictoires : plaisir et utilité. Et ce n’est pas toujours simple à gérer… Alors aujourd’hui je décortique point par point ce qui me tracasse et ce que j’aime dans la couture.
Et comme je discute souvent avec vous sur Instagram de cette problématique presque philosophique, je me suis permise de parler aussi de ce qui VOUS tracasse (à la fin de l’article).
Mais commençons par le commencement…
La couture : du choc à l’émerveillement
Lorsque je suis accidentellement et violemment entrée en collision avec la couture (ou plus précisément avec la jolie Elna verte de ma grand’mère), j’ai plongé dans un nouveau monde de possibilités créatives. J’étais comme les enfants Banks qui plongent dans la baignoire avec Marry Poppins et découvrent le monde magique et insoupçonné où leur bateau pirate vit une vie parallèle !
Tout d’un coup, le monde dans lequel je vivais n’était plus le même. J’ai lutté des heures pour amadouer la vieille bête de couture de 1960. Je passais une moitié de ma vie sur Internet à chercher des tutoriels pour maitriser de nouvelles techniques et l’autre moitié à regarder les finitions des vêtements dans les magasins. J’ai cousu des pochettes, des accessoires et puis des vêtements. Je suis devenue complètement et irrévocablement addicte.
Et cette addiction me va très bien, parce qu’elle a apporté deux dimensions essentielles dans ma vie :
- la réalisation,
- la créativité.
Et ces essentielles n’ont cessé de remplir mon quotidien et d’alimenter ma passion. Mais très vite, trop vite, elles sont entrées en concurrence….
Je vous explique pourquoi !
Le plaisir de votre réalisation en couture : c’est rationnel, c’est utile et c’est « aligné ».
Le premier aspect c’est la réalisation pure !
Parce que dans ma vie il y avait bien peu de choses de j’avais vraiment FAITES, moi-même. Au boulot, je travaillais dans une équipe de plusieurs dizaines de personnes. J’étais une petite roue d’un processus bien rodé et organisé. Dans mon quotidien, il y a les tâches « ménagères ». Certes, c’est utile mais c’est surtout très banal, effroyablement répétitif et donc pas très durable… Je viens de passer l’aspirateur et le lendemain c’est déjà le bazar ; je viens de cuisiner et dans quelques heures on repasse à table ! (Vous connaissez ça aussi?)
Avec la musique et le dessin, j’étais plus dans la création que dans la création à proprement parler. Le plaisir est dans l’action plus que dans le résultat, éphémère.
Je n’avais pas de passion créative à mon actif, comme de relier des livres, construire des meubles, tricoter des écharpes ou créer des bijoux fantaisies. Cet aspect de réalisation pure, c’est la couture qui me l’a apporté, ça a changé ma vie ! (sans exagérer)
Le plaisir de la réalisation c’est quatre points essentiels pour moi :
1- Je peux être fière de ce que je réalise.
La fierté, est une sensation très agréable. Dans ma vie d’avant, je n’avais pas grande fierté de ce que je faisais. Parce que je ne réalisais peut-être pas grand-chose. Ou bien parce que je faisais partie d’un trop grand processus, qui me dépassais.
Avec la couture, vous cousez grâce à VOS doigts et grâce à VOTRE cerveau. Et cette sensation est incroyablement puissante ! Ce que je porte, c’est MOI qui l’ai réfléchi et l’ai réalisé de mes petites mains. Qu’importe qui le sait, je le sais, et cette fierté intérieure je l’ai à chaque fois, que je porte un simple t-shirt ou une veste doublée passepoilée.
2- Je peux réaliser plutôt que de consommer.
Ce n’est pas toujours simple, dans notre société de consommation, que de respecter ses propres valeurs écologiques.
N’est ce pas ?
La société de consommation nous pousse à acheter des nouveautés, à avoir de nouveaux styles, à utiliser de nouvelles technologies et nous encourage à participer activement à cet emballement. Tout d’un coup, avec la couture, j’ai réalisé que je pouvais vivre autrement, coudre plutôt que d’acheter.
En plus de la fierté de porter MES vêtements, la couture m’a permis de me réaligner avec mes valeurs écologiques. (Je vous parle ici de mes 5 années sans shopping fringues grâce à la couture).
3- Je peux réfléchir à la valeur et à la nécessité des choses qui m’entourent.
Coudre une chemise, ça prend…. beaaaaucoup de temps.
Vous le savez bien !
Alors avant de me lancer dans ce type de réalisation, j’ai appris à réfléchir et à bien mesurer ce dont j’ai besoin. Cette chemise est-elle bien nécessaire ? Pas comme ces vêtements du prêt-à-porter qu’on achète quelques euros sous une impulsion marketing et puis qui restent dans le fond d’une armoire.
Cette époque de ma vie est révolue.
La couture a ancré en moi cette réflexion sur « mon besoin des choses ». Une fois cousue, je vais donner énormément de valeur à cette chemise que j’ai mis tellement de temps à concevoir, à couper et à coudre. J’ai appris à apprécier cette valeur, à l’aimer et à la chérir, contrairement aux vêtements achetés trois francs six sous qu’on ne pleurera pas s’ils sont troués ou tachés…
C’est la puissance du fait main et de la fierté combinés, l’émotion en plus!
4- Je peux mieux réfléchir au coût des choses qui m’entourent.
Petit à petit je me suis rendue compte que les prix des vêtements dans le prêt-à-porter étaient ridiculement bas comparés à la « valeur » que je mettais dans mes coutures. Bien sûr on est très mal placé pour mettre un prix sur ce qu’on réalise soi-même. Mais tout de même, la différence entre les deux était abyssale.
Et de questionnement en investigation, j’ai compris que la fast-fashion est un système qui repose beaucoup sur l’exploitation humaine. Le problème c’est que nous nous sommes habitués à ne plus payer le prix juste de ce que nous consommons… Et cette perversion de la fast-fashion a des impacts profonds sur notre tissu social et sur l’organisation même de notre société.
La couture m’a permis de revaloriser le travail de chacun. Payer pour le temps, les savoir-faire et l’expertise nécessaires à la réalisation de mes vêtements, et de tous mes autres biens de consommations, c’est simplement normal !
Le plaisir de la création: la graine de passion
A coté de ce plaisir de la réalisation, de la fierté d’avoir un vêtement fini, unique et fait-main et de l’alignement de valeur, il y a le plaisir de la création.
Et pour moi, c’est tout à fait différent !
La couture a été le déclencheur d’une passion latente. Et ce déclencheur a allumé un feu d’artifice grâce à ce plaisir de la création.
Ce plaisir, je le vois comme un fondamental qui s’articule en trois préceptes :
Et si vous aimez ma petite veste kimono, le tissu popeline de coton bio dest disponible directement ici !
1- Le plaisir des tissus : les portes de mon Nirvana
J’ai toujours aimé le textile. J’aime profondément toucher les étoffes, contempler les motifs, sentir les textures et comprendre leurs histoires. Je pourrais vous parler des heures de mon amour pour les tissus. Et bien avant ma rencontre avec la vieille (mais vaillante) Elna, j’achetais déjà des tissus…
Non pas pour les possibilités créatives de ces tissus ; je n’avais pas encore ouvert la porte de cet univers incroyable !
Mais simplement pour le plaisir du tissu. Je les touchais, je ramenais une petite partie de leur beauté avec moi, parce que mon esprit rationnel m’empêchait d’être une collectionneuse. Parce que « ça ne sert à rien » quand on ne sait quoi en faire !
Alors, lorsque la couture est entrée dans ma vie, le verrou a sauté, je savais quoi faire et comment réaliser mes rêves. Cette passion textile a donné lieu à un grand feu d’artifice intérieur, permanent. Une sorte de nirvana rempli de coton et de soie.
2- Le plaisir des possibilités créatives : Nirvana au chocolat
Des tissus d’amour combinés à une infinité de possibilités de réalisations, l’orgasme créatif quasi continu n’est pas loin.
Non je n’exagère pas !
Mon cerveau est en permanence en train d’imaginer des combinaisons, des déclinaisons, des adaptations :
- Lorsque je me promène, je vois une femme portant un joli pantalon, immédiatement mon cerveau scanne mon stock de tissus et cherche celui qui pourrait faire l’affaire.
- Si mon regard tombe sur une pub de vêtement de luxe, je vais instantanément classer un détail dans mon fichier mental : « idée à adapter sur un sweat ».
- Lorsque ma petite nièce porte deux fleurs des champs dans les cheveux, ma main est déjà en train d’imaginer le tomber d’un tissu avec ce même motif.
Bref, c’est permanent, c’est intense et c’est merveilleux !
J’ai rêvé de milliers ou de millions de cousettes, de mélanges improbables de tissus et patrons, de vêtements pour moi et pour vous, d’associations de couleurs, de textures et d’ambiances. Et chaque rêve, c’est comme le chocolat noir au zeste d’orange de mon pays : une dégustation puuuuur plaisir, mon Nirvana au chocolat.
3- Le plaisir du geste : Zen-couture
Depuis quelques années, il y a un essor de la pratique de la Pleine Conscience. Je ne sais pas si vous êtes adeptes de ce type de méditation. Moi, j’essaie mais je n’y arrive pas !
Quand je dis « STOP » à mon cerveau, il m’écoute environ deux secondes et demi. Parfois trois. Et puis il repart dans sa course éperdue des choses à faire, dans des digressions d’idées farfelues et dans des cascades de conséquences surprenantes.
SAUF quand je couds.
Quand je couds, l’enchainement de mes pensées annexes et connexes s’arrête. Il n’y a plus que la réalité de la couture. L’aiguille qui monte et qui descend. Le tissu qui se plie ou se détend. Le focus est total, l’abandon est majeur. J’y suis : « extinction du désir humain, entraînant la fin du cycle des réincarnations. État de sérénité complète ».
Et cet état est absolument merveilleux ! J’aime comprendre l’enchainement des étapes de couture. J’aime sentir le tissu sous mes doigts, j’aime voir le vêtement prendre forme.
Bien sur, mon lexique de nom d’oiseaux s’agrandi parce que je suis toujours un peu maladroite… Mais le fond reste le même et l’apprentissage est éternel. Et la couture n’en reste pas moins un moment d’incroyable plénitude !
A ce stade, c’est comme de manger mon chocolat noir au zeste d’orange, balancée dans un hamac en écoutant les oiseaux chanter ! Quoi d’autre ?
Vous le voyez bien, le plaisir ultime zen-couture dans mon Nirvana au chocolat ?
Plaisir de création + plaisir de la réalisation = conflit d’intérêt ?
Et voilà, mon cœur qui balance entre le plaisir de réalisation et le plaisir de création, le besoin d’alignement avec le réel et l’abandon à mon nirvana couture. Balance ? Parfois je ne vais pas vous mentir, le hamac est plutôt secoué, c’est un vrai tiraillement…
Ce sujet est un point récurent et important pour moi depuis le début de cette passion pour la couture. Parce que oui, le plaisir du tissu et de la création rentre parfois en conflit avec mon besoin de réalisation et mes valeurs.
- Poursuivre mon plaisir de création voudrait dire : acheter beaucoup de tissus, coudre beaucoup, mettre en œuvre toutes mes idées. GAME OVER du point de vue de mes valeurs.
- Poursuivre mes valeurs de réalisation voudrait dire : être raisonnable dans mes achats, raisonnée dans mes idées, réaliste dans mes créations. GAME OVER du point de vue de mon nirvana Zen.
Pour être honnête, les deux situations sont un peu caricaturales. En réalité, j’oscille plus d’un plaisir à l’autre. Comme une sorte d’équilibre dynamique… Je n’ai pas de projets 100% dans une des catégories, l’une et l’autre m’attirent et me repoussent. J’oscille toujours entre les deux et je me pose encore des questions sur ce fameux point du parfait d’équilibre que je passe et repasse inlassablement toujours avec le même plaisir !
Alors pour ne pas me perdre, ou risquer d’abandonner un de ces deux plaisirs, je me suis mise des garde-fous :
- Garder du plaisir de création, quelques soit la cousette en jeu. Oui, même pour des sac-à-vrac, je veux avoir du plaisir.
- Rester alignée avec ma série de 15 réflexions pour coudre raisonner et raisonnable.
Et votre paradoxe à vous, entre création et réalisation, il s’écrit comment ?
Ce sujet de paradoxe de la couture, entre le plaisir et l’utile, fait partie de ma vie. C’est un aspect que j’aime évoquer et partager et sur lequel j’apprécie votre avis.
Nous avons eu une super-conversation à ce sujet, grâce à Instagram. Et en comptant scrupuleusement vos réponses, je suis arrivée à la statistique suivante (non-validée par un organisme de comptage agréé) :
- 29 % d’entre nous sont des poly-amoureuses qui s’épanouissent parfaitement entre le plaisir de création et le plaisir de réaliser un vêtement fini (je veux votre élixir de bonheur),
- 42% d’entre nous sont des inconditionnelles du plaisir de coudre dans toutes ses déclinaisons, dont beaucoup d’adeptes de la sous-secte du « plaisir-de-rêver-des-projets-possibles »,
- 39% d’entre nous sont des disciples du plaisir du vêtement ou de la cousette FINI, dont beaucoup de fidèles à la sous-secte du gros kiff de « c’est-moi-qui-l’ai-fait ».
Et puis, j’ai eu quelques conseils super sympa pour combiner ces deux pôles parfois un peu opposés (il faut bien l’avouer) tout en ajoutant un plaisir en plus :
Le plaisir d’offrir !
Non, pas offrir n’importe quoi qui va finir sur une étagère, dans le fond d’un placard, ou encore à la poubelle. Les règles de couture raisonnée sont aussi d’application pour ce que je veux offrir. Mais les possibilités, sont bien plus nombreuses ! Voilà donc d’une pierre trois coups (ture).
Vous êtes dans quelle classe de plaisir ?
A quoi il ressemble votre Nirvana couture ?